LE
MOULIN JEAN
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Le moulin des Vernède. Le 1er novembre 1574, Honorat Le Chantre, docteur en médecine, médecin ordinaire du roi et de la reine, seigneur de Saint-Pons, loue à Gabriel Vernède la prise de l'eau du moulin à blé qu'il prétend faire au pas du Pin. Le bail précise que ladite prise d'eau sera à la levade vielhe…au dessous la font de la Bérenguière. Ces indications autorisent à croire qu'il existait antérieurement à cet endroit un établissement utilisant l'eau de la Tave; elles confirment également que la construction ou la reconstruction du vieux moulin de Saint-Pons à la fin du XVIe siècle est l'œuvre des Vernède. Encore leur fallait-il s'assurer l'accord du propriétaire de la rive d'en face, dans la juridiction du Pin. Quelques années plus tard cette question paraît avoir été réglée comme il ressort d'un acte en date du 14 mai 1592, par lequel noble Galiot (Galhiot, Gaillot) des Michaux, seigneur du Pin, baille "à nouvel achaipt" (1) à Gabriel Vernède, la moitié de la prise de l'eau du moulin à blé situé "au terroir communément appelé au pas du Pin, la d(ite) prise de l'eau estant au terroir appelé la terre de la resclause près la font de la Bérenguière…"(2) . Posséder n'est pas moudre; les Vernède ne sont pas meuniers, leur moulin est mis en location. Dans l'acte d'arrentement établi le 5 décembre 1599 par M. Dusserre, notaire à Cavillargues, pour le " moulin posé sur la rivière de Tave, appelé communément le Grand Moulin des Vernèdes à la juridiction de Saint-Pons-la-Calm "., les propriétaires désignés sont pour moitié Pierre Vernède et pour l'autre moitié des deux frères Etienne et Jehan Vernède, tous trois habitants de Saint-Pons (3). L'un des meuniers locataires, Antoine Granet le jeune, est issu d'une grande famille saint-ponaise; l'autre, André Pantecostes, est de Cornillon. Jusqu'au début du XVIIIe les Vernède forment une famille de notables occupant une place éminente dans la vie de la communauté de Saint-Pons. Ils jouissent par exemple du privilège d'enterrer leurs défunts à l'intérieur de l'église. En 1675 le registre des décès mentionne que Suzanne, épouse de Girard, fermière de Pierre Vernède, est "ensevelie dans leur chapelle " ; en 1709, Marie Devèse est enterrée elle aussi " dans la chapelle du sieur Vernède, n'ayant pu dans le cimetière par le grand froid qu'il fait, la terre étant gelée à fonds ". Gabriel le bâtisseur du moulin était bayle de Saint-Pons. Les trois Vernède précités sont mentionnés à plusieurs titres dans le compoix terrier de 1619 mais c'est Pierre, bourgeois de Saint-Pons, qui apparaît comme propriétaire du moulin bladier situé au pas du Pin. Comme pour le moulin neuf situé en amont, la taxe est de 24 sols. Les Vernède restent propriétaires du moulin jusqu'au début du XVIIIe siècle. Le bail de location de la prise d'eau est renouvelé régulièrement par les seigneurs du Pin. Le dernier, qui date de 1708, indique que cette prise d'eau "estant à l'endroit appelé les moulurouzes" est louée pour la censine de six deniers à Marie Vernède et Gabriel Vernède, son frère (4).
Du moulin de Monsieur de Gaujac au Grand moulin. En 1725, Jean de La Croix de Castres, baron de Gaujac, Collias et Meyrargues (5), acquiert en viager les biens de Gabriel Vernède, parmi lesquels le moulin. L'état des lieux établi à la demande du nouveau propriétaire indique que celui-ci "ne tournait plus depuis trente ans plus ou moins parce que les inondations ayant emporté la chaussée qui estoit de bois et démoli les bords de la rivière". Le moulin lui-même est ruiné et abandonné, tout est à reconstruire:"il n'y a aucune meules ny aniay (anille ?), ny pallettes, estant necessaire dy en mettre deux lune francoize pour servir de lict…aussi y construire une gruaire pour le virant et tournant ny ayant rien dutout dans le dit moulin (ainsi que)…deux martellières pour espandre les eaux qui pourroient dégorger au dessus de ladite écluse…"(6) -Reconnaissance de la main de Gabriel Vernède pour la rente versée par M.de Gaujac- Pour gagner de la pente, il est envisagé de modifier le béal et le canal de fuite. Le baron ne lésine guère pour faire entreprendre les travaux, mais il se heurte bientôt pour des questions d'eau, comme presque toujours lorsqu'il s'agit de moulins, à la réaction des voisins en amont et en aval. En premier lieu, celle du seigneur du Pin qui s'oppose à la modification de l'emplacement de la prise d'eau et fait connaître "qu'il luy cherchera toutes les chicanes qu'il pourra". M de Gaujac cède et un accord à l'amiable intervient finalement; les dispositions antérieures sont reconduites, y compris la censine de six deniers versée jusqu'alors par les Vernède. Il faudra encore composer avec demoiselle Claudine Arnaud, veuve et héritière de Jean d'Astier, propriétaire du moulin de Beaufer, qui craint d'être "troublée dans la faculté des eaux dont elle jouit pour l'usage dudit moulin ". Celui-ci est en effet entièrement tributaire de la fuite du Grand Moulin et une modification des niveaux risquerait de le priver tout simplement d'eau. " -Extrait d'un procès-verbal de l'affaire de la prise d'eau du Grand Moulin- Le procès intente par le Sr.du pin contre le Sr.de gaujac fait comprendre iusques a quel exces peut ce porter un homme prevenue par la ialousie des moulins." Reconstruit au même endroit et sans profonde modification du cours de l'eau, le Grand Moulin fonctionne sans événement notable jusqu'à l'époque de la Révolution. En 1755 il est loué à Laurent Meysselle, meunier de Pougnadoresse. Anne Gaspard de La Croix de Castres, baron de Meyrargues, seigneur de Gaujac, Dominargues, Saint Jean de Rosilhan et autres lieux, consolide son emprise sur la moyenne vallée de la Tave en se portant acquéreur le 19 mai 1759 du moulin d'Astier. Désormais propriétaire de deux des trois moulins de Saint-Pons et de 38 hectares 28 de terres roturières éparses dans le terroir de cette localité, il en rachète la seigneurie à l'évêque d'Uzès le 25 septembre 1781. Les biens et domaines du ci-devant seigneur de Gaujac sont aliénés au moins en partie, sinon en totalité, à partir de 1790. Le 1er prairial an 10 (21 mai 1802), Madame de Montalet cède le moulin de Saint-Pons à M. Pierre Louis Herson, domicilié à Paris, par contrat passé devant Me Dufour, notaire à Uzès. A partir de 1809 le moulin est loué à Jacques Verger qui renouvelle le bail en 1814 puis en 1821. Il achètera le moulin de Goudargues en 1818 (7). En 1872 Jacques Vernet, fermier du moulin de Castries depuis une vingtaine d'années, se joint à Auguste Bertrand, fermier du moulin de Fontarèches et à Jean Pontanier, propriétaire de la papeterie de Beaufer pour adresser une pétition à l'autorité préfectorale visant à interdire aux riverains de prélever l'eau dans Tave pour l'arrosage des terres. En 1877 Monsieur Fernand de Vaucrose (ou de Valcrose), propriétaire du Grand Moulin et du moulin de Beaufer, présente un dossier de règlement des eaux pour les deux établissements. L'arrêté signé le 4 janvier 1878 autorise la construction d'un barrage en amont du pont sur la Tave pour prélever directement l'eau nécessaire au fonctionnement du moulin à papier de Beaufer. Jusqu'alors celui-ci recevait l'eau venant du canal de fuite du Grand Moulin et restait donc entièrement tributaire de ce dernier. Les Vaucrose gardent le Grand Moulin jusqu' au 17 décembre 1907, date à laquelle l'ensemble du domaine est vendu à M.Joseph Auguste Mourret. De ce vieux moulin, tel qu'il se présentait alors, subsiste encore une meule gisante d'où émerge en son centre, l'axe d'un rouet en bois. Les lieux gardent aussi le souvenir de quelques faits divers. En 1847, Louis Ode, habitant du Pin, "âgé de 65 ans, ayant l'esprit égaré" est trouvé noyé dans l'écluse du Grand moulin (8). En 1877, un berger du Pin, Jean Payan, disparu de puis trois jours, est retrouvé noyé au même endroit. Coïncidence ou suicide, sept ans plus tard son fils Jean-Gabriel est retrouvé lui aussi " noyé accidentellement dans la rivière de Tave, près du pont de chemin de fer d'Alais au Rhône "(9). Cette ligne est en effet ouverte depuis 1882 et trois fois par jour dans les deux sens, initialement du moins, le sifflet du train vient réveiller le vieux moulin dont l'activité à l'époque tend à décliner. Le moulin Jean. (10) Le 23 juillet 1911, le Grand Moulin de Saint-Pons est acheté par la famille Jean. Les Jean, appelés aussi les Jean Jean, sont issus d'une dynastie de meuniers établie sur le ruisseau de Pépin, dans la commune de Tresques. Ils exploitent depuis la révolution le moulin connu aujourd'hui sous le nom de Moulin de Saint-Loup, propriété actuelle d'Elie Pélaquier, descendant des Jean du côté maternel. Aimé Jean, nouveau propriétaire du moulin de Saint-Pons, conserve le moulin à farine qui s'y trouvait déjà, actionné par un rouet, il y transporte le moulin à huile ainsi que la batteuse à luzerne de Tresques et installe une turbine. Dés 1912, le nouveau moulin fonctionne et fabrique une farine grossière pour le bétail. C'est probablement à cette époque qu'une machine à vapeur, dont une cheminée en briques rappelle encore l'existence, est adjointe à la turbine pour assurer le fonctionnement en période de basses eaux En 1914, Aimé Jean est mobilisé ; il ne reviendra pas du front. Pendant la guerre le moulin est réquisitionné et doit servir également de scierie. La machine à vapeur actionne une scie qui débite les arbres des bords de Tave pour en faire du bois de coffrage destiné aux tranchées (11). Restée veuve, Madame Jean, née Marie Rabier, fait face à la tâche, bientôt aidée par son fils Elie. Celui-ci fait installer une presse hydraulique pour les olives, un moteur à essence pour suppléer au manque d'eau, un bélier pour alimenter la maison en eau et une génératrice fournissant l'électricité. Il fait transporter à Saint-Pons la toiture du hangar du moulin de Tresques pour établir la grande remise qui est au couchant de la maison. Enfin il récupère également les meules du vieux moulin familial et les fait remonter à l'étage en vue de relancer la fabrication de farine blanche. Ces meules d'un diamètre de 1,40 mètre provenaient du Vaucluse, elles fonctionneront jusqu'en 1945 mais la guerre surviendra avant la mise en place de la bluterie prévue. La batteuse de luzerne s'arrêtera vers 1939. L'arrêté de 1878 portant règlement des deux moulins des Vaucrose avait permis de résoudre le problème de l'alimentation en eau du moulin de Beaufer. Un demi-siècle plus tard celui-ci ne fonctionne plus, mais la fuite du Grand Moulin se déverse encore directement dans son béal. Lorsque M. Louis Borie, le nouveau propriétaire, fait monter l'eau dans l'écluse afin de disposer d'une réserve pour l'arrosage des prés et jardins, le canal de fuite du Grand Moulin se remplit au point d'empêcher la turbine de tourner. En 1930 Mme Jean est donc amenée à demander la modification dudit arrêté afin d'être autorisée à reverser l'eau du canal de fuite directement dans la rivière. Après plus de dix années de procédure, malgré l'avis favorable des experts et une démarche en décembre 1940 auprès du secrétaire d'état à l'agriculture du régime de Vichy, cette demande sera rejetée. En fait Depuis longtemps le moulin tourne essentiellement de décembre à février pour produire de l'huile d'olive. En pleine saison, il fonctionne 24h sur 24; des équipes se relayant pour éviter le refroidissement de l'huile. Malgré les difficultés de l'époque, cette activité se maintient pendant toute la durée de la guerre 1939-1945. Quelques jeunes de Saint-Pons employés au moulin pourront ainsi échapper au STO. Après la guerre et la disparition d'Elie Jean, il y aura encore quelques tentatives pour faire tourner le moulin à huile : Raphël Rabier, le frère de Marie s'y consacrera une année, puis ce sera Jean-Marie Pélaquier, le fils d'Odette. Mais après le gel de 1956, qui entraîne la ruine de la plupart des oliviers de la région, le moulin cessera définitivement de tourner. * Le Grand moulin est aujourd'hui la propriété de M Josef Sauerborn. La turbine est toujours en place sous la vase qui a envahi la chambre. Au rez-de-chaussée subsistent le système de transmission et l'installation du moulin à huile : la chaudière pour l'eau chaude, les meules verticales et la presse avec ses couffins…A l'étage un tournant a été conservé avec sa trémie et sa potence * * * * 1- Bail à nouvel achat, c'est à dire reconductible jusqu'à mise en vente de la propriété.(à vérifier) 2- Chartrier de Castries. 306 AP 249. 3- PARIS Marcel, op. cité. 4- Chartrier de Castries. 306 AP 249. 5- Aussi orthographié Mairargues dans les actes les plus anciens. 6- Chartrier de Castries. 306 AP 249. 7- PARIS Marcel, in op.cité, d'après les archives de la famille Roubaud de Goudargues. 8- Registre d'état-civil de Saint-Pons. 9- Registre d'état-civil de Le Pin. 10- Source Elie Pélaquier (1974). 11- D'après M.Daniel Gayte. |