LES TROIS MOULINS DE SAINT-PONS

Le village de Saint-Pons-la-Calm possédait autrefois trois moulins à eau, l'un alimenté par les eaux de la Brive, connu aujourd'hui sous le nom de moulin Bertrand ; les deux autres sur la Tave : le Grand moulin souvent appelé Moulin Jean et plus en aval le moulin de Beaufer. (photos)

Le 4 novembre 1324, Raymond Dupont et Laure sa femme vendent à Etienne Caunac, un prêtre, la quatrième partie indivise d'un moulin situé sur la rivière de Tave dans le terrier de Saint-Pons et appelé moulin de Felquière. L'année suivante, ledit prêtre revend cette portion du moulin, avec la directe seigneurie sur les trois autres parts, à l'évêque d'Uzès (1).

Le 20 février 1332, Bertrand, payeur de Bagnols, notifie à l'évêque d'Uzès qu'il a vendu à Bertrand Etienne de Saint-Pons le quart et la troisième partie d'un autre quart de ce même moulin de Felquière (molendinum de Felqueria)(2) . A noter que le moulin de Jouvenel à Pougnadoresse est désigné à la même époque sous le nom de " molin de la Felgière "ou " molin de la Fergière ".

Rien à notre connaissance ne permet d'affirmer qu'il s'agit bien du moulin connu aujourd'hui sous le nom de Beaufer ou si au contraire cette appellation s'applique au moulin Jean ou au moulin Bertrand. Quoi qu'il en soit, les faits rapportés constituent la première trace écrite de l'existence d'un moulin sur le terroir de Saint-Pons-la-Calm (3).

L'ancien moulin à vent qui se dresse à quelque 500 m au nord du village de la Capelle est désigné dans les archives sous le nom de " Moulin de Saint-Pons ". Il est ainsi appelé pour être sur une terre ayant appartenu à Honoré Le Chantre, médecin de la reine de Navarre, qui l'avait achetée en 1580 à Messire Jacques de Crussol, duc d'Uzès, pour la somme de 333 escus 20 sols.. Ce même Honoré Le Chantre était seigneur de Saint-Pons depuis 1553; il le restera jusqu'en 1607 . Il avait acquis également la terre et seigneurie de Pougnadoresse qui restera dans la famille. Le moulin de Saint-Pons est en fait le moulin de Monsieur de Saint-Pons.

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La quinzaine de moulins bladiers* en activité dans la vallée de Tave à partir du XVIe siècle étaient construits sur un même principe de fonctionnement, d'ailleurs pratiquement imposé par la faiblesse de la pente et l'irrégularité du débit :

- un barrage, appelé paissière (du latin paxiera : pieu), levée ou levade, ou encore chaussée, dévie l'eau du cours de la rivière ;

- l'eau prélevée est amenée au moulin par un canal ou bief, appelé aussi béal (besal, bisaut, bezaou en occitan), souvent d'une longueur de plusieurs centaines de mètres afin de pouvoir obtenir la hauteur de chute nécessaire;

- une vanne en bois, la martillère (martelière, marteline, marthelera), permet de dériver le trop plein éventuel vers la rivière ;

- le béal aboutit à un vaste réservoir, l'écluse (rescluse, resclause, resclaouza), permettant de disposer d'une quantité d'eau suffisante pour pouvoir moudre ;

- l'eau sous pression fait tourner la roue verticale à augets, le rouet horizontal ou la turbine située dans la partie basse du moulin ;

- le mouvement rotatif est transmis à la meule courante (tournante, virante) par un axe vertical en bois ou en fer, le palfer (paufer) ou axe de moulin ;

- l'eau ressort plus bas dans le canal de fuite (fugide, fujida, fujhido), parfois souterrain au départ, pour rattraper le niveau de la rivière en aval (4).

A quelques variantes près, ce schéma s'appliquaient aux trois moulins de Saint-Pons alignés au bord de Tave à 900 mètres d'intervalle. Il en reste aujourd'hui les corps de bâtiments, les maisons d'habitation adjacentes et les appentis; aucun n'est encore en eau mais dans les trois cas, la levée, le béal, la rescluse et le canal de fuite quoique envasés restent parfaitement visibles sur le terrain . Seul le moulin Bertrand a gardé sa turbine, sa machinerie et des meules à peu près en état de fonctionnement.

Quelques termes de molinologie

- Anille Pièce en forme de X ou de deux C adossés ou de double hache, percée d'un trou carré dénommé œil dans lequel s'encastre l'arbre moteur ; fixée sur la face inférieure de la meule, elle lui transmet le mouvement du rouet ou de la turbine.

- Arbre moteur (palfer, gros fer) . Axe vertical qui transmet le mouvement de la roue à la meule.

- Bladier Moulin à blé.

- Bluterie Cage tournante, légèrement inclinée sur l'horizontale, à section hexagonale, équipée de tissus de soie à mailles plus ou moins fines et servant à trier la fine farine du son et autres issues.

- Boulange Mouture à l'état brut à la sortie des meules.

- Gruau Partie granuleuse de l'amande du grain qui donne la farine grossière

- Grudier (gruadou) .Moulin à gruau.

- Meule La meule inférieure fixe est dite gisante ou dormante ; la meule supérieure mobile est dite tournante, volante, courante ; dans la région les meules les plus anciennes étaient d'une seule pièce, généralement en pierre venant de Saint-Quentin-la-Poterie.

- Paradou Moulin à foulon destiné à travailler les étoffes (chanvre, laine) dit aussi moulin drapier.

- Potence (tourtoiement). Bras de grue permettant de lever et de déposer la meule tournante pour l'opération de rhabillage.

- Rhabiller Redonner du mordant aux meules en retaillant les rayons qui garnissent la surface ; ce travail s'effectue avec des marteaux à deux pointes (mailloches) et des bouchardes.

- Rouet (roudë). Généralement, pièce d'engrenage en forme de couronne de bois fixée sur l'arbre moteur. Autre sens : modèle rustique de roue horizontale, le plus répandu dans la région avant l'adoption de la turbine. Un rouet est formé d'un pivot de bois cerclé de fer, traversé par un axe vertical métallique et muni d'une vingtaine de godets en bois disposés en couronne.

- Tarare Instrument, constitué par un ventilateur et des cribles mobiles, destiné à chasser les impuretés du grain après battage.

- Tournant Couple de meules formant un élément de moulin ; autre sens : roue hydraulique. Un moulin peut avoir 1, 2, 3 tournants…

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1- AN, 306 AP 247.

2- Id

3- Par ailleurs le moulin des Nicolay situé sur l'Auzigue à Cavillargues est décrit dans le compoix de 1789 :" à Fauguières , une maison, cour moulin bladier, graudou, écluse, fuite et prés ". D'après Jean Bobot in Cavillargues en vallée de Tave, l'appellation Fauguière, viendrait de l'occitan Falguiera : lieu où poussent les fougères.

4- D'après Serge POLDER. Des moulins assis sur la Tave. Rhodanie n°49 (1994).

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