La Boulidouïre

Les nombreux promeneurs et promeneuses qui empruntent régulièrement le chemin du Pujol n’ont pas manqué cet été de s’interroger sur les fouilles et les travaux entrepris au lieudit de la Boulidouïre. Il s’agissait pour la circonstance de remettre en état le collecteur des sources qui alimentent la fontaine du Rieu à l’entrée du village et la Grande Fontaine du lavoir. Mais de tout temps ce quartier a appelé l’attention, faisant l’objet de bien des convoitises, de débats souvent passionnés et parfois de conflits déclarés.

 

Réservoir naturel des eaux de sub-surface en provenance des hauteurs voisines de Bos Nègre et de la Rouvière, il doit son nom aux sources qui y jaillissent naturellement du sol sablonneux en bouillonnant[1]. L’eau est en fait présente partout à faible profondeur, les puits et bassins sont nombreux ; les terres, bien irriguées, sont relativement fertiles et propices aux cultures de jardin.

 

Pour remédier au manque chronique d’eau, la communauté de Saint-Pons a longtemps souhaité capter les sources de la Boulidouïre. Les archives communales conservent par exemple un parchemin en latin, daté de 1406, aux termes duquel les consuls et habitants autorisent un nommé Richard, maçon de Tresques, à couper les arbres nécessaires pour construire les canalisations destinées à amener l’eau jusqu’au village.

Mais rien ne prouve que les travaux prévus ont bien été réalisés dés cette époque. Dans le même temps en effet, la propriété des terres de la Boulidouïre, de Bos-Nègre et de Pontilhar (?) est revendiquée par les Consuls de Tresques. Il faudra deux siècles de procédures pour que les droits des habitants de Saint-Pons soient définitivement reconnus mais à charge pour ceux-ci de payer l’impôt correspondant à la viguerie de Bagnols.

Quoi qu’il en soit, trois siècles plus tard le problème de l’eau reste préoccupant. En mars 1750, à la suite de plusieurs années de sécheresse et d’incendies à répétition, les consuls entament les premières délibérations pour la construction de la Grande Fontaine avec adduction des eaux de la Boulidouïre. Les entrepreneurs retenus feront traîner les travaux en soutenant que le projet est irréalisable pour un problème de pente. Le procès engagé en 1775 tranchera à leurs dépens, l’expert désigné jugeant « qu’une pente de 3 pouces pour 100 toises[2] est suffisante parce que les lois de l’hydraulique appuyée par l’expérience l’ont décidé avant lui ». La date de 1784 gravée au fronton de la Grande Fontaine marquera l’aboutissement de trente quatre années de discussions, d’atermoiements, de procès et de travaux.

 

Cette réalisation, essentielle pour la vie courante, permettra de subvenir aux besoins du village pendant plus d’un siècle. Mais la conduite primitive, en tuyaux de terre-cuite joints avec « du mastic composé de résine et de suif…mélangés à une poudre de briques pilées », était très vulnérable. Elle sera remplacée en 1893 par des tuyaux en ciment, les tout premiers du genre réalisés par Lafarge.

 

Pour en revenir aux travaux de l’été passé, ceux-ci ont permis de mettre à jour une canalisation en pierres maçonnées (section 0,30 x 0,60 m) d’une soixantaine de mètres, encore en très bon état mais presque entièrement bouchée. Partant de l’ouvrage couvrant la source principale (propriété de M. Gérard Gayte), cette conduite se charge au passage de l’eau provenant d’une seconde source captée de l’autre côté de la route (propriété de Mr. Bertin Moureau) et rejoint le collecteur situé dans la parcelle 213 (propriété de Mme Léontine Soustelle aujourd’hui décédée) lequel reçoit lui-même directement l’eau d’une troisième source. C’est de là que part la conduite en ciment qui amène l’eau au village en passant par la Combe.

 

Il aura fallu une vingtaine d’heures de travail et une pression de 400 bars pour évacuer les quelque 9 mètres cubes d’une boue séculaire particulièrement tenace qui obstruaient la canalisation. Les fontaines coulent à nouveau et le patrimoine commun s’est enrichi d’un véritable aqueduc parfaitement opérationnel. Le problème est réglé à la source mais le résultat est encore fragile : en aval des tronçons entiers de la conduite sont à reprendre et les fontaines elles-mêmes mériteraient d’être réhabilitées. Question certes non prioritaire, mais affaire à suivre : à tout point de vue elle en vaut la peine…

 


[1]. Boulidou , bouliduro : en occitan et dans le patois local, bouillonnement, tourbillon d’eau, ce qui bout …

[2]. Environ 41cm pour 100m. Cette estimation était quand même optimiste : la pente réelle est de 1,96m pour une longueur totale de 1130m, soit 1,7cm par mètre, d’où les risques d’ensablement.